Serge DUMONT, Biologiste, Université de Strasbourg

Prétextant de dégradations répétées par des visiteurs peu délicats, d’aucuns voudraient faire croire que la spoliation du site pour des intérêts particuliers est la solution de tous les problèmes.

Les dégradations en question concernent principalement l’abandon de déchets, une “atteinte“ à l’environnement rendant certes le site peu agréable aux usagers, mais non irréparable, car des personnes motivées peuvent réparer l’outrage en une journée comme cela fut déjà le cas dans le passé quand l’ADEPEP (association de protection de l’environnement de Plobsheim) nettoya le site.
L’expérience acquise en d’autres lieux
équivalents montre que la mise en place de poubelles peut résoudre ce problème à moindre coût.

Des dégradations, le site du Langensand en a déjà subi et continu à en souffrir comme le remblayage organisé et systématique des fossés jouxtant la gravière, autrefois lieu de reproduction de la rainette verte.

D’une façon générale, nous sommes inquiets que pour résoudre des problèmes mineurs soient mis en place des remèdes qui comportent eux, des atteintes bien réelles à l’environnement.


Voici listée les raisons pour lesquelles nous aimerions qu’une solution environnementalement

acceptable et pérenne soit trouvée :


1. La gravière du Langensand est alimentée par la nappe phréatique (contrairement à de
nombreuses autres qui sont colmatées par les sédiments), toute atteinte à la gravière peut donc se répercuter sur la nappe phréatique.

Du fait des apports phréatiques et à proximité de ceux-ci, se développent de nombreuses “zones troubles blanchâtres“ à faible profondeur, correspondant à des proliférations de bactéries sulfureuses (figure 1).

Ces bactéries métabolisent le sulfate de calcium présent dans l’eau mais également les nitrates, améliorant du coup la qualité de l’eau (charge minérale abaissée).

Ces proliférations bactériennes sont donc de véritables stations d’épuration.

Notons que ces bactéries ne prolifèrent que dans des gravières présentant un profil de profondeur particulier, que l’on ne retrouve pas dans les gravières plus récentes très profondes dont les berges sont abruptes et les pentes trop raides.

Outres leurs capacités épuratives, les bactéries des zones troubles constituent le maillon d’une chaîne alimentaire permettant la prolifération de nombreuses espèces dépendantes comme :

     - Des ophrydium, colonies de protozoaires pourvus de couronnes de tentacules se nourrissant des bactéries par filtration de l’eau. Elles sont notamment fixées aux  Characées et aux fines feuilles des potamots pectinés en formant de véritables bouquets (Figure 2). De telles associations avec les potamots sont uniques et sans équivalent à notre connaissance ailleurs en Alsace.

     - De nombreux petits crustacés filtreurs comme les daphnies se nourrissant des bactéries avec lesquelles elles cohabitent (Figures 3 et 4). Ils font le bonheur de petits poissons qui s’en nourrissent.                                    


2.
Les herbiers sont nombreux et profonds. En consommant les minéraux dissous, ils régulent la
prolifération des algues permettant à l’eau de rester limpide. Parmi les nombreuses espèces de plantes aquatiques, notons la présence de l’Utriculaire vulgaire classée vulnérable et la pesse vulgaire classée rare toutes deux sur la liste rouge des espèces menacées en Alsace (protection régionale).

De nombreuses Characées sont également présentes, ce sont des végétaux pionniers présents jusqu’à 17-18 m de profondeur, ils caractérisent les gravières phréatiques de bonne qualité et sont souvent associés aux proliférations bactériennes des zones troubles.

Rappelons également que les herbiers fournissent des abris à de nombreuses espèces d’invertébrés et de poissons.


3.
De nombreux arbres tombés dans l’eau (côté Nord-Ouest) servent de support à une faune fixée
variée comme des hydres et des bryozoaires ainsi que d’abris à de nombreux poissons.

Au travers de ces quelques exemples remarquables, et la liste pourrait être prolongée, il est facile de comprendre que la gravière du Langensand réunit des qualités qui en font une pièce d’eau unique abritant une vie insoupçonnée à préserver.

Son biotope particulier est cependant fragile et si l’on a vu que sa capacité épurative était grande, la situation pourrait rapidement changer faute d’une gestion intelligente et d’épurative elle pourrait devenir une source de pollution pour la nappe phréatique.

Notre inquiétude porte en particulier sur le projet d’une société de pêche d’immerger plusieurs tonnes de poissons pour promouvoir la pêche au gros.

Sans être contre une pêche raisonnée et conviviale qui se développe ailleurs sans effets négatifs pour les milieux aquatiques, nous dénonçons le caractère excessif de ce projet.

L’introduction massive de carpes, notamment herbivores aurait vite fait de transformer le “lagon bleu“ en étang de pêche ordinaire aux eaux turbides avec pour corollaire un abaissement de la biodiversité par disparition de nombreuses espèces sensibles.

Il nous apparaît souhaitable de n’envisager l’avenir du site qu’en parfaite connaissance de la vie qui s’y développe.

Nous rappelons que le SDAGE 2010 accorde une place importante à l’amélioration des connaissances sur les milieux aquatiques et à l’information des élus, décideurs et gestionnaires de ces milieux ; tel est le propos de ce courrier.

Au-delà du projet de pêche au gros et afin de préserver la pérennité d’une gravière unique, nous vous demandons d’étudier l’idée de classer le site du Langensand au rang de milieu aquatique remarquable protégé. Les abords de la gravière pourraient êtres réhabilités par aménagement d’un sentier d’observation (proposition ADEPEP) et la création de mares à batraciens.

Dans tous les cas, une concertation avec les habitants de Plobsheim devrait être envisagée, peutêtre sous la forme de réunions publiques de présentation de projets comme ce fut déjà le cas pour la gravière d’Illkirch.


Nous sommes bien sûr disponibles pour discuter avec toutes personnes concernées.


En espérant que vous serez attentifs à nos arguments, veuillez agréer nos salutations

distinguées.

Serge Dumont

Maître de Conférences à l'Université de Strasbourg
 

 

 

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